Faune et laisses de mer 1
Faune
Quand on est un jeune enfant, on peut se demander quelles espèces d’êtres peuplent ce vaste territoire que figure l’estran qui est bien loin d’être désert. Il y a pour sûr le monde visible et le monde invisible, celui qui produit toutes ces petits tortillons sur le sable de l’estran, ces tribus d’arénicoles qui servent d’appâts aux pêcheurs de tout poil. L’enfant qui fait ses premiers pas sur une plage cherche plutôt à attraper une mouette, et par défaut, à ramasser des coquillages. Généralement, les lariformes poursuivent leur chemin assez tranquillement en s’échappant par petits bonds puis reviennent invariablement sur leur bectance en contournant le danger, ramenés par le vent. La recherche de leur pitance, notamment celle de débris de nourriture laissés par les touristes est primordiale pour ce volatile qui peut picorer plus de 200 g de nourriture par jour. La mouette rieuse ne se nourrit pas uniquement dans son milieu aquatique. Elle peut aussi bien avaler des insectes que des crustacés, des mollusques, des petits poissons et amphibiens. Pour ouvrir un coquillage, elle s’élève dans les airs puis le lâche afin de le briser sur le sol formé de rochers ou d’amas de coquilles. Pour les chiens en liberté, c’est aussi un de leurs jeux favoris de poursuivre les mouettes et les goélands. Ces goélands dont l’envergure et le poids sont bien supérieurs à ceux de la mouette rieuse, sont aussi souvent plus agressifs et âpres dans leur combat pour gagner et défendre leur nourriture. Pour les vacanciers, il vaut mieux ne pas s’aventure à les nourrir. Il peut être difficile après de s’en débarrasser. Certains chiens lâchés en liberté réalisent des courses hallucinantes pour les attraper mais toujours ils échouent. On se sent de piètres athlètes, pauvres bipèdes, devant toutes les qualités animales requises pour bien s’adapter à ce milieu naturel. L’équilibre d’une mouette qui s’appuie et lutte contre le vent, la détente singulière d’un chien dalmatien, la nage véloce du Terre Neuve dans la vague sont tous remarquables. Comparés à ces champions, nous avons de pauvres qualités physiques. Sans parler de la grâce de leurs mouvements, de la délicatesse d’une aigrette qui de son long bec saisit prestement son poisson, de la parfaite synchronisation d’un groupe de cormorans volant au raz de l’eau ou bien séchant tranquillement leurs ailes comme des anges noirs.
Entre les groupes de vivants dispersés dans cet espace entre terre et mer, la gente humaine paraît bien balourde et bien plus limitée dans sa liberté d’action que tous les autres êtres vivants dans ce milieu au point de douter des qualités de notre espèce au vu des performances animales. Et du petit garçon observé sur la plage, tenant en, laisse son griffon noir, on se demande bien lequel des deux est le maître de l’autre … Espèce intermédiaire, les chiens prennent ici conscience d’un immense espace de liberté. Ils y retrouvent une part de leur sauvagerie originelle, pourchassant les mouettes pour le plaisir de courir où se jetant dans le rouleau des vagues pour le seule joie d’en émerger. En haute saison, la plage n’est autorisée qu’aux chiens tenus en laisse. Il arrive plus rarement heureusement qu’ils s’attaquent aux chevaux qui s’aventurent sur l’estran. Les drivers redoutent ces comportements incontrôlés qui terrorisent leurs chevaux.
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Tous ces peuples de l’estran se côtoient sans plus se fréquenter et en parcourant la grève je m’amusais beaucoup à observer leur société. Longtemps je parcourais la grève sans jamais me lasser…
Laisses de mer
Parmi les nombreuses ressources tirées de la mer, certaines ont très vite fait l’objet d’une législation :
« Pendant l'Ancien Régime, le droit de bris, appelé aussi droit d'épave, droit de lagan, droit de varech ou de wreccum, était le droit donnant la propriété des épaves et des cargaisons des navires naufragés au seigneur sur les terres duquel l’épave s’échouait » wikipedia
Tout le long des côtes françaises s’établit ainsi le privilège de s’approprier ce que la mer abandonnait sur le rivage. Dans le dictionnaire Larousse, le terme de laisse de mer désigne sur l’estran, la ligne jalonnée de débris abandonnés par la mer.
Les hommes d’église et la noblesse locale se sont souvent disputés l’apanage de cette manne maritime. Ainsi
L'abbé de l’Abbaye de Saint-
En 1157, Hervé, vicomte de Léon, lui accorde le droit de bris et d'épave sur les rivages de tous ses fiefs (en 1390 il est précisé qu'il peut se saisir du 1/10e de la coque, de la cargaison et du gréement du navire échoué). À ce droit de bris se joignait le droit de dépouilles qui a été confirmé en 1602 par des lettres patentes du roi. Il accordait ce droit aux religieux pour « tous ceux qui périssent en mer, et aux côtes de Saint-
Pour le petit peuple, certain naufrages, s’ils font le malheur des uns, provoquent aussi le bonheur des autres comme en témoigne le journal Ouest-
« Quinze pilleurs d'épaves du vapeur Vesper, naufragé en novembre, […] viennent de comparaître devant le tribunal correctionnel de Brest. Cette affaire n'aurait qu'une importance minime sans les scènes scandaleuses qui suivirent le naufrage. En effet, environ trois cents fûts de vin de six cents litres allèrent s'échouer sur tous les points de la côte depuis Molène jusqu'à Roscoff, et le procureur de retracer à l'audience les scènes auxquelles se livrèrent les riverains qui se ruèrent sur les tonneaux et les défoncèrent.
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Les hommes et les femmes ivres dansaient autour des tonneaux. Une femme, furieuse de voir les hommes boire plus qu'elle, s'élança tout habillée dans une barrique défoncée et dansa dans le tonneau. Les pêcheurs et les cultivateurs manquant d'ustensiles pour loger le vin emplirent tous les récipients en leur possession, jusqu'à des vases de nuit. Toute cette malheureuse côte, a continué le procureur, a été ravagée par une ivresse qui a duré plusieurs mois. Dans une ferme, père, mère et enfants sont restés ivres si longtemps qu'ils ont laissé mourir de faim leurs bestiaux. Il y eut aussi des scènes incroyablement comiques à Ouessant. Un tonneau d'huile de ricin fut bu. La cire qui se trouvait à bord du Vesper fut pillée, et tout le monde fabriquait des cierges pour s'éclairer. »
De cette époque lointaine subsistent quelques traditions notamment sur l’île d’Ouessant qui est presque totalement dépourvue de bois. Chaque débris provenant des navires peut-
Ailleurs, on n’est pas de loin de la chasse au trésor, avec ses prospecteurs aguerris. Au Royaume Uni, les biens échoués sur les côtes peuvent être récupérés après déclaration à un fonctionnaire de la couronne britannique, le reciever of wrecks (receveur des épaves). En 2007, un navire porte conteneurs, le MSC Napoli, s'est échoué sur la côte du Devon et les conteneurs, mal arrimés (un problème récurrent dans le transport maritime conteneurisé) se sont échoués sur les grèves voisines. La population locale s'est ruée sur les conteneurs récupérant notamment des parfums de luxe et de puissantes motos BMW 1200 cm3, flambant neuves, avec les clés sur le contact. La police, présente sur les plages n'a rien pu faire d'autre que de distribuer des feuillets rappelant l'obligation de déclaration au reciever of wrecks des objets récupérés avant de réussir à bloquer tout accès à la plage.
Aussi ces dernières années, avec les progrès de la technologie peut-
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Autrefois, on mettait en garde les promeneurs des dangers rencontrés sur la batture à chaque partie de pêche sur le sable où dans les rochers :
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Mais d’autres périls véritables menacent ceux qui s’aventurent insouciants sur l’estran. La plupart des débris abandonnés par la mer maintenant sont hélas plus triviaux. Ils proviennent généralement des déchets de nombreuses embarcations qui sillonnent la baie. Les plaisanciers d’opérette ne sont pas très regardant quand à ce qu’ils rejettent à la mer. Plastiques de toutes sortes, canettes, emballages en polystyrène et désormais masques chirurgicaux. Il peut arriver que des gants en caoutchouc, des bouts de filets, des flotteurs, des toiles cirées, des outils des travailleurs de la mer et même des crochets échappant des mains, viennent se mêler aux autres débris. La marée les ramène toujours au rivage. Sur l‘estran, j’ai même cru reconnaître un jour une jambe de bois qui aurait pu bien appartenir à Long John Silver. D’autres débris un peu plus nobles suggèrent que la mer qui digère pendant longtemps les carcasses qui la nourrissent, finisse par les rejeter. Ces troncs de bois brut qu’elle abandonne plus rarement ne sont –ils pas les reliefs des grands chênes de la forêt de Scissy qu’une terrible tempête engloutit d’un coup en 709 ?
Or la mer ramène ainsi depuis la nuit des temps tous les détritus naturels qui comblent les peuples des rivages, nutriments essentielles de toute la biomasse: poissons morts, méduses, algues -
Souvent les petits enfants qui jouent sur la plage ont tôt fait de s’emparer tous ces matériaux pour consolider leurs ouvrages : bassins, forts et châteaux destinés à défier vents et marées.