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Jeux et bains
Introduction
Voici un récit de mon oncle Pîto sur son enfance dans les années 30 à Carolles-
« A cet instant précis me revient un souvenir d’enfance, lorsque, au cours des « grandes vacances » que je passais régulièrement à Carolles (Manche) ; après avoir longé quelques instant « mon » fleuve, le Lude, un minuscule ruisseau qui finissait par mourir péniblement dans la mer, j’aimais pêcher et jouer dans les flaques d’eau de mer, emprisonnées parmi les rochers à marée descendante. Il m’arrivait parfois d’y faire naviguer quelques débris de coquillages récoltés sur place. Je jetais ensuite un galet au milieu de la mare, voulant, sans doute créer une tempête artificielle, et, prouver les qualités marines de mes « bateaux ». J’assistais alors aux naufrages, mes premiers navires sombraient, tour à tour, au fur à mesure que les atteignait l’onde transmise dans le milieu ambiant, concentriquement au point d’impact. Cela me paraissait « naturel » et je ne mesurais pas encore le rapport qu’il pouvait y avoir entre l’événement et la connaissance de l’événement … et ne pensait guère à la Théorie d’Einstein de la Relativité Générale !... »
Quelques années plus tard, tout près de là, l’enfant Pito devenu adolescent risquerait sur les flots son propre kayak entièrement construit de ses mains. Par la suite, il construirait son propre voilier…
Si je me décide à relater cette anecdote, c’est pour mieux souligner comment l’estran comme espace de jeux et de liberté est propice à la construction de la pensée et souvent source d’idées novatrices…
Jeux disparus : galets, jokary, croquet, radeaux, plongeoirs …
Dès la fin du 19èmesiècle, les jeux de plages sont apparus sur l’estran de la station de Jullouville. Promenades à dos d'ânes(du Cotentin) plus tard de poneys, tennis, badminton, voile de plaisance, canotage, courses de chevaux, concours de châteaux de sable, courses en sac, parties de croquet, défilés de maillot de bain… la plage devient un lieu de distractions où l'ennui est prohibé. Les jeux de galets ont sans doute précédé les jeux de boules pour développer son adresse. Mais les galets de plage, assez peu courant sur cette plage de sable fin, permettaient aussi de faire de jolis ricochets sur l’eau. Très ancien aussi, un jeu qui a maintenant presque disparu, le croquet était assez largement pratiqué. Les jeux de raquettes aussi étaient apparu avec le tennis assez peut pratiqué sur le sable dur et sans filet. Le tennis fut remplacé plus tard par le Jokary, qui fit fureur dans les années-
… L’apparition du plastique et des engins gonflables mit au rebut les lourds radeaux de bois arrimés par une chaîne qu’on lançait dans les vagues qui étaient devenus obsolètes et bien trop dangereux. On a aussi finalement supprimé les quelques plongeoirs en béton qui se dressaient à bonne distance sur l’estran et qui devenaient les refuges des nageurs à marée haute. Ils servaient aussi gentiment de perchoir aux cormorans.
Heureusement bien d’autres activités n’ont jamais disparu tout à fait. Elles font encore le lien entre les générations pour une même perception de l’estran à différents âges : on joue encore aux boules comme m’avait appris mon grand-
Parmi les commerces de la station qui avaient fleuri dès la création de Jullouville, celui qui vraisemblablement connut rapidement le plus de succès et fit le plus de profit, était le Bazar de la Plage. Nous y avons laissé des fortunes. L’inventaire d’un tel bazar dans les années 60 était un descriptif exhaustif de tous les engins, jeux, jouets, vêtements, serviettes chapeaux (bobs, casquettes …) pelles, seaux, filets, boules, volants, masques, palmes, tubas qu’on pouvait trouver sur une plage. Inventaire à la Prévert, c’est bien sûr ici qu’on acheta nos premiers frisbees, nos premiers bermudas, nos chapeaux et casquettes …puis qu’apparurent les lunettes de soleil les plus excentriques et les crèmes solaires les plus vertueuses !
Tous ces trésors évidemment n’étaient pas donnés. Et les vacanciers des campings n’avaient pas les mêmes moyens que ceux des villas. Ceux qui portaient les dernières tongs à la mode n’étaient pas les mêmes que ceux qui arboraient les traditionnelles sandales en plastique. Grand-
La plupart de ces commerces de plage ont depuis été condamnés par les grandes surfaces et la vente en ligne. Les anciennes boutiques se sont vues remplacées par des agences immobilières. Les petits bistrots où on jouait aux flippers (Gottlieb) ont fait place à des Fast Food dotés de WiFi haut débit, et à quelques paillottes ouvertes seulement en haute saison. Mais il reste toujours les manège et le marchand de nougats, et ce doit être toujours la même famille de forains depuis officie depuis presque un siècle…Les deux club de plages ont aujourd’hui disparu. Le club Mickey et le club Bandarlog se partageaient la clientèle des parents désireux de se soulager un peu de la garde de leurs enfants pendant leurs vacances. Nous étions ravis quand nos parents nous y inscrivaient une petite semaine, jamais plus car c’était trop cher. On y bénéficiait de cours de gymnastique à la Tati dans « Les vacances de Mr Hulot », mais surtout de jeux de plages qui nous paraissaient particulièrement attractifs, les grandes balançoires collectives, les trampolines, mais surtout la grande tyrolienne qui nous ravissait pendant toute une journée.
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Cet agrès, mon frère s’en était inspiré pour expérimenter dans le grand jardin ombragé de la villa, au moyen d’une vieille corde, d’une roue de poussette au pneu déjanté et d’un arceau de croquet tordu en guise de poulie, une sorte de téléphérique tendu entre deux grands cyprès qu’il se réservait, en tant qu’ingénieur en chef concepteur du projet, d’inaugurer en premier. Mal lui en prit, mon frère étant bien plus grand donc plus lourd, la corde se rompit dans un claquement sec dès le premier passage. L’adolescent chuta violemment, et le crochet aigu de l’arceau lui ouvrit le front nécessitant quelques points de suture par le médecin du coin.
Moyennant un substantiel supplément, ces deux clubs de plage qui possédaient chacun une piscine démontable et des maîtres-
En 2021, la municipalité a cessé d’accorder l’autorisation au dernier club, devenu Club des Mouettes, de remonter ses installations saisonnières. La montée progressive des eaux ces dernières années n’étaient pas étrangère à cette décision. En substitution, la mairie propose maintenant des cours de « Gym tonic et bien-
C’est aussi au Bazar qu’on pouvait se procurer les légers aérodynes qui étaient l’objet de toutes nos convoitises. Du cerf-
Ces dernières années, à l’instar de cette fameuse coupe Icare où des parapentistes du monde entier font voler leurs drôles de machines, on s’est mis ici aussi à faire voler des cerfs-
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La plage est aussi l’espace collectif où les familles amis se retrouvent. Après le bain et le pique-
Le peuple des enfants s’appliquent à imiter les activités des adultes en imaginant toutes sortes de jeux d’imitation. Pour les parents, il s’agit plus de toutes sortes d’initiation qu’on peut pratiquer ici en toute sécurité et en toute candeur car ils peuvent enfin après une longue année de labeur et d’indisponibilités où on a abandonne aux autres le soin de sa progéniture, se consacrer totalement aux apprentissage des enfants .
La mer est le premier des dangers : c’est l’élément inconnu et indomptable. Il faut mieux très vite apprendre à nager. Et puis la mer est froide et mouvante, mais, qui plus est, redoutablement attirante. Avec la mémoire du drame survenu à mon oncle, sur cette même plage, 30 ans auparavant, notre mère interdisait à ses enfants de se baigner sans attendre deux heures au moins après un repas. Elle redoutait l’hydrocution. Cette interdit formel était vécu par nous comme une sanction au regard de tous les autres enfants de la plage qui profitaient à n’importe quelle heure de marée du bain et des vagues.
Là encore, à bien observer leurs premiers bains, on constate des attitudes très diverses suivant les jeunes individus. Généralement les enfants dont les parents sont très à l’aise avec l’eau, se révèlent beaucoup moins timorés et souvent moins frileux. Certains parents ont tout de même des conduites inconscientes négligeant parfois la violence et la traîtrise des grosses vagues qui ne s’annoncent pas toujours. La puissance d’un reflux a vite fait d’emporter un petit corps de 20 kilos. Bien apprécier la juste profondeur n’est pas superflu. Aussi, la basse mer sur l’estran est plus favorable à l’initiation du bain chez les tous petits.
Bien des jeux s’inventent sur le rivage comme celui qu’on pratiquait souvent hors saison, quand la mer était plus froide, donc plus dangereuse, au printemps ou en automne. A marée haute, il consistait à se risquer au plus bas jusqu’au niveau de l’eau pour remonter prestement la pente avant d’être rattrapé par la vague et sans se mouiller les pieds. L’autre jeu le plus fréquent était de sauter par-
L'usage curatif des bains de mer est attesté dès le XIVe siècle. Des personnes mordues par une bête enragée recevaient comme médication sur la plaie une cautérisation au fer rouge puis étaient envoyées faire un bain de mer. Apparu dès la fin du XVIIème siécle en Angleterre, la mode des bains de mer en Manche nord se répand sur la côte française à la fin du XVIII ème siécle :
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« La révolution industrielle favorise l'intensification des loisirs et des voyage : les classes aisées effectuent des migrations saisonnières vers la côte et la mer qui n'est plus redoutée mais désormais vue comme attrayante et excitante » Wikipédia
Les vagues restent un des motifs principaux des bains de mer. Leur fascination touche immédiatement les enfants. Bruit, mouvement et lumière procurent les premières sensations. Puis vient la caresse de l’eau, le goût âcre et salé, et surtout la portance. La température de l’eau peut rendre la mer tour à tour repoussante ou bien attirante. Un article de Paris Match publié en février 1921 déterminait « six bienfaits étonnants » de la mer sur les individus :
La réduction du stress, un bien-
Notre mère se plaisait à nous raconter que nos deux mois d’été passés sur l’estran normand nous garantissaient des maladies infantiles probables avec l’hiver froid et humide du nord-
Maintenant sur nos vieux jours, on pourrait difficilement passer une année sans effectuer un assez long séjour sur la côte Ouest du Cotentin afin de profiter des bienfaits la mer.
Si les plus jeunes préfèrent s’adonner au skimboard (sorte de planche de natation) dans les vagues, les plus âgés pratiquent de plus en plus le longe-
Également appelée “longe-
Cette activité s’effectue maintenant en groupe ou en solitaire mais revêtu d’une combinaison néoprène qui assure une bonne protection du froid, et de gants palmés qui donnent une curieuse silhouette de reptile au marcheur. .. Ces protections permettent de progresser dans une eau avoisinant les 10°.
Mais, les jeux les plus passionnants sont ceux qu’on s’invente. Ainsi, jeunes ados, l’un de nous avait imaginé de reproduire sur la plage un circuit matérialisant le tour de France. Des petites figurines en ferraille symbolisaient les grands coureurs de la Grande Boucle, héros modernes de notre époque : les Anquetil, Poulydor, Merckx, et plus tard les Agostinho, Thévenet, Hinault. . Le parcours était tracé dans le sable avec son lot de difficultés, côtes, petits ponts, tunnels. Chaque joueur, à coup de pichenettes, faisait avancer une petite bille pour faire progresser sa figurine…
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Nous passâmes bien des heures dans ces compétitions sous le soleil d’été et attrapâmes à l’occasion de fameux coups de soleil !... Le seul public sur les étapes de ce tour dans le désert était composé par d’innombrables puces de sable qui s’accommodaient du tracé sans en éprouver la moindre gêne.
Les filles leur préféraient une toute autre occupation. Il fut un temps où la confection de petites poupées en coquillage devint leur passion. Le Bazar de la plage fournissait les innombrables tubes de colle scotch nécessaires à l’assemblage des délicats composants : une large pétoncle formait la base de la figurine, des patelles, empilées l’une sur l’autre, un robe victorienne, une coquille d’amande devenait un corsage, celles des couteaux de longues manche à dentelles, un coquille d’huître, un élégant chapeau, une coquille de coque formait un visage épanoui. Les volutes du moindre buccin étaient source d’imagination. Et l’imagination des petites filles était fertile. Puis les poupées étaient parfois peintes et souvent juste vernies. Puis religieusement exposées sur le plateau de la cheminée comme de vraies petites œuvres d’art. Nous les garçons, nous en apprécions surtout l’odeur de la colle…
La réalisation de ces petits bijoux était nécessairement précédée de longues séances de glanage de coquillages au milieu des sables du bas de la plage et des amas de varech, là où les rouleaux des vagues labouraient le plus le rivage.
Tout ce sable remué par les eaux et par les vents, qui reprend dans sa façon toutes les rides de la surface de l’eau, de la risée de surface jusqu’à la houle qu’imitent les dunes, était le premier matériau de la majorité de nos jeux. C’est aussi dans ces dunes qui bordaient l’estran qu’enfant je divaguais monté sur un petit poney de location. Pour une pièce de cinq francs que j’extorquais à ma mère, je pouvais profiter pendant deux heures du petit animal loué à un petit manège équestre d’ Edenville. Seul, tel un petit indien, j’explorais les grandes vagues de sable toutes recouvertes d’oyats qui n’étaient pas encore bâties: le roi n’était pas mon cousin. C’était alors ma première initiation équestre.
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Forts, Châteaux …
Chaque année au début des grandes vacances, dès notre arrivée à la villa, la première chose que nous faisions après avoir vu la mer était de nous précipiter dans le garage pour retrouver la malle aux jouets. Avant même de vider les valises, tâche ingrate de rangement que nous laissions volontiers aux parents, nous préférerions largement tout déranger au sous-
Le château ne devait pas être confondu avec le fort. Le château avait essentiellement un rôle décoratif. Assez souvent les parents aimaient s’associer à sa réalisation qui nécessitait parfois la maîtrise de certains gestes techniques , l’utilisation d’eau pour cimenter plusieurs éléments de sable, former un pont ou creuser un tunnel. Le moulage des tourelles à l’aide des petits seaux en plastique exigeait aussi un tour de main que les petits finissaient par apprendre. La décoration avec des plumes figurant les bannières, et les grains goémons gros comme des boulets de canons qu’on entassait dans les barbacanes nécessitait une certaine minutie.
Le club de plage Mickey organisait régulièrement des concours de châteaux de sable dont l’architecte vainqueur était récompensé par un lot de confiseries offerte par le glacier Thorin et une casquette de vélo Gitane…
Ces merveilleux châteaux après l’estompage du vent, ou le passage de la marée forment alors d’étranges ruines qui attirent de loin d’autres enfants saltimbanques : » chaque vestige se résigne quand de très loin ils lui font signe ».
D’autres se réapproprient ces ouvrages abandonnés pour tenter de les restaurer jusqu’à la prochaine marée. Mais rien n’arrêtent leur ruine.
Le fort est un ouvrage d’art qui tient plus de la motte féodale. C’est une défense guerrière contre un ennemi impitoyable : la marée montante. Il y a urgence dans sa réalisation. Tout matériel visant à le renforcer est le bienvenue. La maitrise de l’art ne s’acquiert qu’après une longue expérience aussi son édification est réservé à des grands enfants, voire des jeunes adolescents qui n’ont pas froid aux yeux. Au pires moments du péril, il ne va pas falloir hésiter à risquer la noyade pour chercher à sauver l’édifice , en courant chercher la grappe de varech, ou la vieille planche échouée pour venir renforcer les murs qui s’effondrent sous le choc répété des vagues. Il n’y a pas d’issue heureuse possible. Juste l’excitation de finir en héros engloutis par les flots.
Le premier mur d’enceinte franchi par la force des flots, il va falloir tous monter sur la motte centrale du donjon et s’y tenir serrés « Au péril de la mer », tout comme le mont Saint Michel au fond de la baie lors du raz-
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Bassins
Plus ingénieux encore est l’art de creuser un bassin sur l’estran. Il requiert de solides connaissances en hydraulique (science qui enseigne à mesurer, à diriger et à élever les eaux).
L’objectif est de créer une pièce d’eau artificielle afin d’y faire flotter des petites navires et de s’initier aux caprices du vent sur des voiliers miniatures, puis de s’y baigner avec délice dans une eau tiède sans risquer de se noyer.
La difficulté principale réside à creuser un bassin étanche, sans fuite par laquelle l’eau risquerait de s’échapper l Puis de remplir ce petit bassin en captant le flux de tous les petits ruisseaux alentours qui s’égouttant du sable au reflux, s’écoulent vers le rivage à marée basse. C’est un travail laborieux qui doit être réalisé assez vite pour pouvoir un peu profiter de sa piscine avant que la mer ne s’en retourne.
Evidemment chaque ouvrage est éphémère. Séléné (Luna) la déesse de la nuit efface tout. Et chaque lendemain, la batture est à nouveau vierge…