Crotoy se montra un peu exaspéré par cette nouvelle fonction de maître d’hôtel qu’on s’efforçait de lui faire endosser mais il s’efforça de le dissimuler. Il fallait avant tout endormir l’éternelle méfiance qui caractérisait l’évêque. Il se fit tout miel, complétant même la panoplie de l’évêque en goguette par une collection d’éventails qui lui seraient bien agréables par ces fortes chaleurs…
Crotoy s’engagea à livrer lui-
Chemin faisant, peu avant Sartilleo, il croisa la route de Bertrand qui chevauchait à sa rencontre. Quand il apprit la présence de Tola mêlé aux pèlerins de l’abbaye, il fronça les sourcils. Il comprit aussitôt l’intention des louviers de tenter de libérer les enfants. C’était bien cela la raison qui les avait poussés à rencontrer Détritux. Il se fit bien expliquer par Bertrand que le groupe de louviers était bien sous le contrôle du moine cellerier. Il allait falloir jouer serré. Il était trop tard pour faire déplacer les jouvenceaux de leur geôle. Il convint que l’option de Bertrand de neutraliser les « espions » comme il les nommait, juste après l’office matinal réservé aux pèlerins laïques était la plus sûre. Crotoy était certain que ceux qui s’étaient infiltrés sans trop savoir leur nombre – au moins deux, affirmait Bertrand – avaient des complicités à l’extérieur. Il fallait multiplier les patrouilles tout autour de l’abbaye et dans la forêt avoisinante pour les débusquer. Il confia ce rôle à Bertrand.
Dès qu’il aurait rencontré l’Abbé pour régler les derniers détails, il devrait retourner à Avranches pour assister l’évêque dans la condamnation de Somba. Finalement, il était très satisfait qu’on mette la main sur ces louviers. Si ce vieux loup de Somba était bien trop coriace pour livrer ses congénères encore cachés dans la forêt, les plus jeunes seraient certainement bien plus faciles à convaincre. Clément Jouënne s’y emploierait. Les derniers réfractaires ne seraient pas longs à débusquer. Tout compte fait, l’affaire prenait bonne tournure.
Alors que Bertrand tournait bride pour rejoindre ses hommes qui stationnaient sur la place devant la poterne de l’Abbaye, Crotoy guida la charrette par le chemin de la forêt, derrière le moulin à l’ouest du domaine. Cette fois encore, il accèderait ainsi directement au logis abbatial. Ils arrivèrent bientôt à l’étroite porte qu’on avait percée ici dans l’épais mur d’enceinte. Là encore, il appela le prieur avec sa trompe de chasse…
Le lendemain était un jour de fête. Tous les vilains et manants affluaient du voisinage pour le jour du marché. Ils se mêlaient aux bêtes et aux carrioles de toutes sortes chargées de légumes et de fruits qui se frayaient un chemin sur la longue rampe qui conduisait sur le parvis de la basilique où s’étendait le marché. La nouvelle qu’on allait assister à l’exécution d’un homme accusé de sorcellerie et de pacte avec le démon avait électrisée la foule. Quand on sut qu’il s’agissait du vieux Somba du village des loups, on s’étonna un peu. On avait l’habitude de le voir de temps en temps sur ce marché qu’il avait l’habitude de fréquenter invariablement accompagné de son chien Buba. Malgré son caractère assez trempé, il avait plutôt bonne réputation et les herbes et les potions qu’il vendait à petit prix sur la place se révélaient efficaces à soigner les petits maux et blessures dont pouvaient souffrir tous ces paysans, ces artisans et ces pêcheurs accablés de corvées On savait bien que le vieux passait beaucoup de temps dans la forêt et qu’il y rencontrait parfois les druides et les anachorètes avec lesquels il entretenait des rapports mystérieux. On s’interrogeait sur ses « méfaits » et on se demandait si cette condamnation n’était pas en rapport avec le raz de marée qui avait englouti la grand forêt de Scissy qu’il avait l’habitude de parcourir alors que rares étaient les Abrincates qu’y risquaient de s’y aventurer… Bref, tout le monde était impatient d’en savoir plus.